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Étude de cas: service lent dans un café

J’observe régulièrement la manière de fonctionner des cafés et restaurants. L’organisation de l’équipe a un impact direct sur l’expérience des clients.
Il y a quelques mois, j’ai été témoin d’une situation très intéressante qui montre à nouveau que la méthodologie Lean s’applique aussi très bien au domaine des cafés et de la restauration.

Contexte et symptômes

L’établissement en question est un café tendance et très élégamment décoré. L’ambiance est donnée. Le client est projeté dans une atmosphère particulière, tant au niveau du lieu que du menu. C’est beau et soigné, agréable, et invite à la détente.

La surface à servir est particulièrement grande; à vue d’œil, plus de 150 places assises, à l’intérieur et à l’extérieur. De plus, certaines tables sont dans des recoins peu visibles pour le staff. Il n’y a pas de service aux tables; les clients doivent commander au bar.

Ce jour-là, la fréquentation de l’établissement est moyenne. La zone intérieure est quasiment vide. Une bonne partie des tables extérieures sont occupées. Il doit y avoir environ 60 clients au total. Présent avec un groupe d’amis, je vais passer commande pour notre groupe. En m’approchant du bar, je suis frappé par le contraste entre le calme à l’intérieur de l’établissement et la file d’attente de clients.

Au bar, pas de file d’attente. Un client devant moi finit de payer et c’est déjà mon tour. Un employé est chargé de prendre les commandes, d’encaisser et de servir les boissons froides. Alors que je range ma carte bancaire, il m’indique que je dois retirer les boissons chaudes un peu plus loin, justement là où de nombreux clients attendent leur commande. À l’avant de la file, deux autres employés sont affairés à préparer les commandes. Leur stress est clairement perceptible. Je suis dans la file et dispose de 15 bonnes minutes pour observer ce qui se passe.

Analyse de la situation

On va maintenant analyser en détail pourquoi le service était si lent ce jour-là.
Il y avait trois employés: un caissier, un serveur et un barista.

Rôles et séquence des opérations

  • Le caissier accueille le client et prend la commande. Il encaisse, remet les boissons froides au client, puis lui indique de prendre les boissons chaudes à côté. Il donne alors le ticket de commande au serveur.
    À ce moment-là, le lien entre la commande et le client est perdu. En effet, le client va retourner à sa table déposer les boissons froides. Lorsqu’il retourne dans la file des boissons chaudes, il se place simplement à l’arrière de la file. Rien ne garantit que l’ordre des clients dans la file corresponde encore à l’ordre d’arrivée des commandes.
  • Le serveur reçoit donc le ticket. Il exclut mentalement les boissons froides de la commande, celles-ci ayant déjà été servies au client. Il indique alors au barista la ou les prochaines boissons à préparer.
    À ce moment-là, le lien entre les boissons et la commande est perdu. D’une part, le barista ne sait pas quelle commande il traite. D’autre part, le serveur peut difficilement garder toutes les informations en tête: il traite plusieurs commandes simultanément et interagit avec le caissier, le barista et les clients.
  • Le barista prépare les boissons chaudes. N’ayant aucun support visuel, il doit se souvenir des boissons qui lui ont été indiquées par le serveur. Comme il opère plusieurs machines à café/thé à la fois, il prépare parfois plusieurs boissons simultanément.
    À ce moment-là, la séquence des boissons est perdue. En effet, il se peut qu’il puisse intégralement préparer une boisson rapide (p.ex. un thé) pendant qu’il attend que la machine termine une boisson plus lente à préparer (p.ex. un latte macchiato).
    Il donne alors la boisson préparée au serveur.
  • Le serveur reçoit la boisson et parcourt les tickets pour savoir à quelle commande la boisson en question appartient.
    Il y a un risque élevé de confusion dans le cas des variantes. Par exemple, il est difficile de distinguer visuellement un café au lait de vache de sa variante au lait de soja. Il devra parfois interroger le barista pour savoir de quoi il s’agit exactement.
    Lorsqu’il a trouvé la bonne commande, il vérifie si elle est désormais complète. Si c’est le cas, il va interpeller les clients pour trouver celui à qui la commande appartient. L’interaction est fastidieuse, car le client doit énoncer les boissons qu’il a commandées pour lui et ses amis plus de 10 minutes auparavant.
    Cette étape finale cherche donc à retrouver les liens boissons-commande et commande-client perdus auparavant.

Dans la réalité, les interactions ne se suivent pas aussi proprement. Ainsi, le caissier va interrompre le serveur dès qu’une nouvelle commande a été placée. Le serveur va interrompre le barista pour lui indiquer quelles boissons il doit préparer. Le barista interrompt le serveur à chaque fois qu’une boisson est prête. Les clients vont interrompre le serveur avec des demandes diverses (un sachet de sucre, une deuxième cuillère…).

Questions fréquentes

Voilà les questions les plus fréquentes que se posent les membres de l’équipe. Elles sont révélatrices de la situation et des points de frictions qui empêchent un service fluide des clients.

Serveur: « Quelles boissons faut-il préparer? »
La commande que reçoit le serveur du caissier contient des éléments superflus: toutes les boissons froides ont déjà été servies. Filtrer les boissons dans sa tête est une charge mentale et une source d’erreurs.

Barista: « J’en suis où? Qu’est-ce que je dois préparer maintenant? »
Le barista doit mémoriser les commandes tout en préparant plusieurs boissons en même temps.

Serveur: « À quelle commande appartient cette boisson? »
Le barista passe la boisson préparée au serveur sans plus d’indications. Le serveur doit donc avoir en mémoire le contenu des commandes ouvertes, ou alors parcourir tous les tickets jusqu’à retrouver la commande correspondante.

Serveur: « Pour quel client est cette commande? »
Il n’y a aucun signe distinctif qui permet de déterminer par soi-même à qui il faut donner la commande complétée.

Solutions

Quasiment toutes les difficultés rencontrées peuvent être ramenées à un problème de communication ou d’information des membres de l’équipe. Les mesures proposées ont deux buts principaux:

  1. Garantir que l’information soit disponible à la bonne personne et au bon moment.
  2. Réduire les interruptions afin de garder chaque membre dans son « flow » et de diminuer la charge mentale.

Version low-tech

Voici la version non technologique, « papier et stylo » pour améliorer cette situation:

Chaque commande avec des boissons chaudes reçoit un numéro unique. Ce numéro est indiqué à la fois sur le ticket de commande destiné aux employés et sur le reçu du client. En pratique, un nombre à 2 ou 3 chiffres suffit car cela laisse 100 ou 1000 commandes avant de voir le même nombre réapparaître, ce qui est très raisonnable.

Le caissier indique au client son numéro, qui lui permettra de récupérer sa commande. Le caissier efface du ticket de commande les boissons déjà servies au moyen d’un marqueur noir. C’est une tâche très facile pour le caissier puisqu’il a pris la commande et servi les boissons froides. L’effort mental est limité.
Le ticket ne liste donc plus que les boissons chaudes et ne doit pas être filtré mentalement par la suite. On a gagné en clarté. Le caissier place finalement le ticket sur un support visible du barista depuis sa zone de travail.

Trois points importants ici:

  1. La nouvelle commande, déjà filtrée, passe directement du caissier au barista.
  2. Le barista n’est plus interrompu. Il va chercher l’information sur le support quand il en a besoin.
  3. Les tickets sont ajoutés au support dans un ordre convenu d’avance. Ainsi, le barista est sûr de traiter les commandes dans leur ordre d’arrivée. (Principe FIFO : premier arrivé, premier servi)
Un exemple de support avec 16 emplacements qui permet de suivre 15 commandes sans problèmes. Mais si les 16 cases sont remplies, alors le barista devra comparer les numéros de commande pour trouver la plus ancienne.

Le barista traite les commandes qu’il voit sur le support. Lorsqu’une commande est complète, il prend le ticket correspondant du support et le place sur le plateau avec les boissons.
Dès qu’il voit un plateau pourvu d’un ticket, le serveur prend le plateau en question, le place sur le bar et appelle le client au moyen du numéro de commande. « 482! »
Finalement, il remplace le plateau pris auparavant afin que le barista puisse placer les boissons chaudes d’une nouvelle commande dessus.

Seules les interactions avec le client se font en direct. Les employés ne doivent plus interagir directement entre eux mais utilisent des signaux. Il n’y a plus non plus d’allers-retours entre le serveur et le barista.

On constate que les trois membres de l’équipe peuvent remplir une commande sans avoir besoin de se parler, et surtout sans devoir s’interrompre. Il faut disposer les machines à café, le support et les plateaux afin que les employés ne se gênent pas dans leur travail. L’idéal est de minimiser les déplacements de chacun.
Un autre avantage qui découle de cette meilleure organisation est que le caissier et le serveur sont moins sollicités et peuvent donc aider le barista en apportant de manière proactive les produits qui viendraient à manquer (lait, sachets de sucre, vaisselle propre, etc).

Version high-tech

La version technologique de cette solution réside dans un système de traitement des commandes entièrement digital.
Quand le caissier a encaissé une commande, les boissons chaudes apparaissent sur un écran visible du barista. Cet écran remplace le support à ticket. Les commandes sont listées de haut en bas, de la commande la plus ancienne à la plus récente et les boissons froides ont déjà été filtrées par le système. Le barista quittance les commandes complétées, qui disparaissent alors de son écran. Il est possible qu’il faille imprimer un ticket avec le numéro de commande à ce moment et le placer sur le plateau correspondant, afin que le serveur puisse retrouver le client.
Les clients ont eux aussi un écran qui leur permet de visualiser quelles commandes sont prêtes et lesquelles sont en cours de préparation. Le serveur quittance les commandes remises aux clients afin de les faire disparaitre de l’écran client. Il est aussi envisageable de les faire disparaitre automatiquement après un délai prédéfini.
Il faut bien évaluer le rapport coût-bénéfice d’un tel système qui doit être bien pensé, sinon il aura plutôt tendance à freiner l’équipe qu’à faciliter son travail.
Un avantage important est le suivi très précis du temps requis pour servir les clients. Ces informations permettent d’évaluer l’impact d’un changement d’organisation ou de disposition sur la rapidité du service.

Conclusion

Nous voyons dans cet exemple que très peu de moyens sont nécessaires pour améliorer significativement l’expérience client. C’est un constat courant dans le cas des entreprises de service et des processus transactionnels. Les solutions ne doivent pas forcément impliquer un élément technologique pour être efficaces.

Cet article ne couvre que la première étape d’amélioration. Dans un second temps, on pourrait s’intéresser à la disposition de la zone de travail, à la quantité de fournitures stockées, et vérifier la répartition de la charge de travail entre les différents rôles. Par la suite, il serait intéressant de recenser les situations de confusion et d’erreur restantes afin d’en éliminer les causes.
Ces mesures permettront d’offrir à la fois une expérience client de très haute qualité et une ambiance de travail sereine.

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